5 questions à Vincent Bouchot, compositeur du Carnaval des animaux en péril.

5 questions à Vincent Bouchot, compositeur du Carnaval des animaux en péril.


Quels sont les animaux que vous avez choisi de mettre en scène dans ce Carnaval et pourquoi ceux-là précisément ?

Mon choix d’animaux répond à des critères assez éclectiques : pour figurer dans ce Carnaval, il faut être bien sûr être  « menacé d’extinction » ;  ça n’est guère difficile, d’ailleurs, car, à part les animaux domestiqués par l’homme, presque tous les animaux sont en danger de disparaitre !

Plutôt que d’aller vers des animaux trop mignons que tout le monde voudrait voir sauvés, je me suis intéressé à des bêtes assez anodines, moches, voire repoussantes comme le concombre des mers.

Le plus difficile était d’éveiller en moi une idée musicale autour de tout ça. Ca peut être une idée simplement littéraire et formelle :  le Harfang, un oiseau du grand nord, blanc comme la neige,  m’a fait penser, par un enchaînement d’idées, aux Indes Noires, un roman de Jules Verne- d’où une musique en noir et blanc. Ca peut être aussi une idée tordue : j’ai imaginé un improbable twist pour le concombre des mers dont le record de vitesse est de… 5 cm par heure !

 

Est-ce qu’il y a des références cachées au fameux Carnaval de Saint-Saëns ? Lesquelles ?

Bien sûr !  Les références s’imposaient, dans la mesure aussi où Saint-Saëns lui-même a usé du procédé. J’ai appliqué à sa pièce la plus rapide, la plus virtuose (les Hémiones) le traitement qu’il fait subir au French Cancan d’Offenbach dans ses Tortues : un ralentissement extrême, pour évoquer, pour ma part,  le loris de Java, un cousin du fameux paresseux. Le thème de Saint-Saëns est intégralement exposé à la basse, méconnaissable, et sur cette ligne se greffe un canon virtuose entre une flûte à bec et un marimba, musique qui se désagrège progressivement, recouverte par un bruit de machine de plus en plus envahissant.

Saint-Saëns citait dans ses Fossiles des compositeurs qu’il aime (notamment Mozart). J’ai fait de même, en rendant hommage à Pierre Boulez, mon compositeur fétiche, dans la gigue qui conclut le Carnaval.

 

Est-ce que la connaissance que vous avez de la musique ancienne a été un plus ou non dans cette aventure ?

J’espère que oui ! Enfin, il faut être modeste : ma connaissance de la musique ancienne est très empirique et très partielle, concentrée essentiellement sur ma pratique de la musique de la Renaissance avec l’ensemble Clément Janequin. Disons que le fait que je sois interprète moi-même est très important dans ma relation prosaïque à l’écriture : j’essaie de combiner les idées et la pratique, un goût pour le concept, voire le cryptage, et une exigence de « rendement » en tenant compte du fait qu’une musique trop difficile est rebutante pour tout le monde, sauf pour les spécialistes de la musique contemporaine. Il n’y a qu’une véritable référence à la musique baroque, dans le Carnaval, dans la Courante du Dodo, où j’ai opéré un mix de la Poule de Rameau et de la Pintade de Ravel (lequel évidemment connaissait et aimait Rameau), pour obtenir une volaille « transgénique ».

 

Est-ce qu’écrire cette œuvre « engagée » a du sens pour vous ?  Avez-vous l’impression que ça a changé quelque chose dans votre manière de voir le monde ?

Soyons modestes ! Pratiquer le tri, éviter de consommer trop d’électricité et trop d’eau, ne pas manger trop de viande, ne pas jeter de la nourriture, ne pas changer son portable tous les deux ans, sont des gestes plus engagés que l’écriture d’un Carnaval des animaux en péril ! Mais il y a une forme de convergence entre l’amour que les musiciens portent à leur art, à l’écriture, à l’histoire de leur art (à travers la perpétuelle redécouverte des répertoires musicaux), et la sensibilité à la beauté du monde et donc la perte que représenterait sa destruction.

 

Pourquoi écrire de la musique contemporaine pour des instruments du XVIIIe siècle ? Est-ce que ça a du sens aujourd’hui  ?

C’est une pratique aujourd’hui très répandue (elle me semblait nouvelle il y a une bonne vingtaine d’années); on pourrait faire une réponse très prosaïque, presque désagréable : les compositeurs écrivent pour les instrumentsbaroques parce que les ensembles baroques le leur demandent et les paient pour ça ! On pourrait aussi signaler qu’un grand nombre d’instruments « normaux » de la musique contemporaine sont aussi des instruments du XVIIIème siècle ! Quand Pierre Boulez (mon héros !) écrit Anthèmes pour violon solo, ou Luciano Berio la Sequenza VII pour hautbois, ils écrivent eux aussi pour un instrument du XVIIIème siècle !

Je crois que la vraie réponse est à chercher dans deux directions : d’une part on écrit bien sûr pour des instruments, mais avant tout pour des instrumentistes.